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  • Afghanistan : «Des hélicoptères sont arrivés, ils ont tiré de tous les côtés»

    Afghanistan

    Afghanistan : «Des hélicoptères sont arrivés, ils ont tiré de tous les côtés»

    03 août 2019 23:00

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    Talibans et Etat islamique ne sont plus les principaux responsables des morts et des blessés civils dans le pays, selon un rapport de l’ONU, mais plutôt les forces américaines et progouvernementales. A Kaboul, «Libération» a rencontré des réfugiés qui confirment un durcissement du conflit.

    Dans la pénombre de la petite maison en torchis, on pourrait ne pas le voir. Mohammed Khan, 20 ans, est assis par terre contre un mur. Immobile, pâle, le regard apeuré et mouvant, il semble ailleurs. «On était dans un minibus pour aller à la mosquée et il y a eu une explosion. Sur les 20 personnes, une dizaine sont mortes. C’était une mine.» Le jeune Afghan n’a pas de séquelle visible. Il dit juste qu’il a des bourdonnements d’oreilles et des problèmes de mémoire. «Il n’a plus toute sa tête»,assure l’un de ses cousins, assis à côté. Un peu plus tard, Mohammed Khan dira, comme pour s’excuser : «Je ne suis pas comme ça d’habitude. Je bouge et je parle normalement.»

    Gul Khan, 47 ans, est là, dans la même maison, aussi massif que Mohammed est frêle. Les deux se connaissent, ils viennent du même district de Sanguin, dans la province méridionale du Helmand, et ont des liens familiaux. Ils sont arrivés il y a une dizaine de jours, après quatorze heures de route et plusieurs barrages talibans, dans ce camp de réfugiés de Kaboul. Gul Khan parle d’une voix grave, sûr de lui : «Ça s’est passé il y a deux semaines. Quelqu’un de mon village a tiré sur un [blindé] de l’armée américaine. Moi, j’étais dans mon champ. Des hélicoptères sont arrivés. Je ne sais pas si c’était l’armée afghane ou américaine, mais ils ont tiré de tous les côtés. Ma femme et ma fille ont été tuées. Je les ai enterrées et je suis venu ici avec le reste de ma famille.» Depuis, Gul Khan a emménagé avec ses neuf autres enfants - le plus jeune a 1 an - dans une maison qui tombe en lambeaux. Deux pièces séparées par une cour crasseuse avec des toilettes qui se résument à un trou recouvert d’une planche et d’une nuée de mouches. Mohammed et Gul sont deux des dernières victimes d’une guerre qui dure depuis plus de dix-huit ans. Ils ont survécu mais ont tout perdu.

    Voitures piégées

    Le conflit afghan reste l’un des plus meurtriers au monde. Mardi, l’Unama, la mission des Nations unies dans le pays, a publié ses dernières conclusions. Sur les six premiers mois de l’année, plus de 3 800 civils, dont 1 207 enfants, ont été tués ou blessés. C’est 27 % de moins que l’an dernier. Une baisse qui tient à la diminution du nombre d’attentats massifs commis par les talibans. Leurs attaques sont nombreuses, quasi quotidiennes à Kaboul, mais il n’y a pas eu de camions piégés comme l’an dernier, juste des voitures.

    Selon l’ONU, ce sont désormais les forces afghanes et internationales, et leurs milices alliées, qui causent le plus de victimes civiles, devant les talibans et l’Etat islamique. Le constat n’a pas plu au gouvernement afghan et à l’armée américaine. Dans un communiqué, celle-ci a contesté «les méthodes et les conclusions de l’ONU». «Les sources dont les informations sont limitées et les motivations contradictoires ne sont pas toujours crédibles», a déclaré son porte-parole en Afghanistan, le colonel Sonny Leggett. Même rejet du côté du pouvoir central de Kaboul. «Oui, j’ai vu ce rapport, explique à Libération le ministre de la Défense, Asadullah Khalid. La bonne nouvelle est qu’il y a une baisse de 27 % du nombre de victimes. Mais il y a un problème de méthode : quand mes collaborateurs demandent à l’ONU comment ils travaillent, ils répondent qu’ils se basent sur des coups de fil qu’ils reçoivent depuis les provinces. Mais on sait que les talibans assimilent à des civils leurs combattants tués ou blessés. Je ne dis pas que nous ne faisons pas de victimes civiles, nous sommes en guerre, mais nous faisons extrêmement attention. Nous nous efforçons aussi de dédommager les familles. Ce n’est pas assez, bien sûr, mais c’est quelque chose.»

    Production de pavot

    La méthode des Nations unies est connue. Chaque cas doit être confirmé par trois sources indépendantes et la liste des victimes est envoyée avant publication au gouvernement afghan, aux forces internationales et aux talibans. Ils peuvent la contester s’ils le souhaitent. «L’Unama travaille sérieusement, leurs chiffres sont de loin les plus fiables que l’on puisse trouver. Mais c’est vrai que même si les lois internationales sont claires, il peut y avoir un certain flou, entretenu par les acteurs du conflit, entre les véritables combattants talibans et ceux qui ne sont que des sympathisants», explique Antony Neal, de l’ONG Conseil norvégien pour les réfugiés. En réalité, et personne ne le nie, les combats se sont intensifiés cette année. «Ça tape très fort, aussi bien côté américain et forces afghanes que côté talibans», note une source afghane.

    Une recrudescence des combats qui coïncide avec le processus de discussions poursuivi par les Etats-Unis et les talibans à Doha, au Qatar. Une nouvelle session, la huitième, doit débuter dans les prochains jours. «Les talibans attaquent pour se mettre en position de force lors des discussions. Mais l’armée afghane et les Américains ne font pas que riposter, ils sont aussi en mode offensif. Personne ne lâche rien»,poursuit la même source. Cela se traduit entre autres par une augmentation des bombardements. Selon l’ONU, ils ont fait près de 520 victimes sur les six premiers mois de l’année. Un chiffre en hausse de 39 % par rapport à l’an dernier. «Si le nombre de blessés a diminué, celui des morts a plus que doublé», note l’enquête. Dans huit cas sur dix, c’est l’armée américaine qui est responsable. «Même si les forces internationales tâchent de s’assurer que les frappes sont ciblées, certaines sont ordonnées en soutien de l’armée afghane lorsqu’elle est attaquée ou prise en embuscade. Ce sont celles-là qui causent le plus de bavures. Il est impératif que les règles d’engagement garantissent que toutes les précautions sont prises pour éviter les victimes civiles»,explique Anthony Neal.

    Le 25 mars, dans le district de Surobi, à proximité de Kaboul, où était déployée l’armée française avant son retrait en 2012, des soldats afghans et américains, ciblés par des tirs talibans, demandent un soutien aérien, rapporte l’ONU. Les bombardements feront cinq victimes civiles, dont trois femmes et un enfant. L’armée américaine reconnaîtra le bilan. Dans sa maison délabrée du camp de Kaboul, Gul Khan affirme qu’il ne sait pas qui a tiré sur le «char» américain et provoqué la riposte aérienne qui a tué sa femme et sa fille. «Ça peut être un taliban mais pas forcément, ça peut aussi être l’un des chefs du village.»Son district, Sanguin, est l’un des plus talibans qui soient. Les insurgés le contrôlent, comme la province du Helmand dont il fait partie, à l’exception de sa capitale, Lashkar Gah. Lorsqu’elle était déployée en masse dans la région, entre 2006 et 2010, l’armée britannique n’a jamais réussi à les chasser. Son échec a poussé l’armée américaine à reprendre la main, sans plus de succès. Sanguin, et le Helmand, connus pour leur production de pavot, sont restés des places fortes talibanes.

    «Il y a encore quelques années, quand Hamid Karzaï était au pouvoir, les Américains faisaient plus attention. Aujourd’hui, s’il y a un problème, ils tirent immédiatement, sans chercher à savoir qui a fait quoi, c’est pour ça qu’il y a tant de morts», poursuit Gul Khan. Il assure qu’il n’est pas taliban, juste paysan. Il ne possède ni terre ni maison, il travaille comme fermier et se répartit la récolte avec le propriétaire. «Cette année, je n’ai fait que du blé, je n’avais pas assez d’argent pour acheter des graines de pavot.» Un kilo de blé se vend environ 50 afghanis (0,57 centime d’euro), celui de pavot, qui sera transformé en opium, 10 000 afghanis (115 euros). Le camp de l’ouest de Kaboul où Gul Khan a échoué, à côté de l’université du Maréchal-Fahim, ne ressemble pas à un camp. Il n’y a pas de tentes, pas de délimitation claire, pas de distribution de nourriture, pas d’ONG. Il n’a même pas vraiment de nom ; on l’appelle simplement «camp des réfugiés du Helmand». Il est apparu il y a plus de dix ans. Ce qui aurait dû être informel et temporaire s’est pérennisé. Plus de 1 400 familles vivent aujourd’hui dans des maisons qu’elles ne cessent de rebâtir. «Chaque hiver, elles s’effondrent, il faut tout refaire au printemps. Une femme est morte il y a quelques mois lorsque le toit et un mur de sa maison lui sont tombés dessus», dit Hadji Ismaël Khan, le responsable.

    «On doit se débrouiller»

    En ce milieu d’été, la plupart des murs sont déjà creusés de fissures. Il n’y a qu’un puits, à l’entrée du camp, et pas d’électricité. «Les ONG et l’ONU étaient encore ici il y a cinq ans. Elles distribuaient de la farine, du riz, de l’huile, du thé, du sucre. Mais aujourd’hui, elles ne viennent plus, on doit se débrouiller. Certains n’ont même pas 10 afghanis pour acheter du pain le soir», poursuit Ismaël Khan. Le plus souvent, les hommes du camp se postent à 6 heures du matin à un rond-point et espèrent être embauchés comme ouvriers, à 300 afghanis la journée.

    Comme souvent en Afghanistan, les familles s’entraident, donnent de la nourriture à celles qui n’en ont pas. «On va aussi dans les boulangeries pour récupérer les pains qui ne sont pas vendables», dit le chef du camp. Il y a dix jours, quand il a quitté la province du Helmand où il avait toujours vécu, Gul Khan n’a emporté que quelques vêtements et des photos de famille encadrées. Il lui reste 110 afghanis (1,3 euro). «Comment voulez-vous que j’achète à manger à mes enfants avec ça ?»Le paysan s’est assis par terre, son plus jeune fils d’1 an sur les genoux, pour regarder les photos. L’enfant ne veut pas lâcher celle de sa mère.

    (Source liberation.fr)

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