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  • Le pape François, le dernier vrai diplomate

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    Le pape François, le dernier vrai diplomate

    05 févr. 2019 21:30

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    Derrière le caractère inédit, spectaculaire, historique de la visite (la vingt-septième de son pontificat) qu'effectue François aux Émirats arabes unis (du 3 au 5 février 2019 ), se dissimule une stratégie profonde, qui vise à la fois à désenclaver le christianisme et à favoriser l'évolution de la religion musulmane vers la modernité. Les rapports subtils entretenus par l'actuel chef de l'Église catholique avec l'Islam se lisent en effet à deux niveaux ; l'un se déroule en pleine lumière, l'autre se situe dans l'ombre.

    Le choix d'Abou Dhabi est loin de relever du hasard : la capitale des Émirats est aussi celle de l'État le plus proche du royaume wahhabite d'Arabie saoudite, tant par la géographie que par son alliance avec Ryad. On a même pris l'habitude de rapprocher les destins parallèles de Mohammed Ben Salman (MBS), le bouillant et brouillon prince héritier saoudien, et Mohammed Ben Zayed (MBZ), prince héritier et ministre de la Défense d'Abou Dhabi (le plus riche des sept E.A.U.), tout aussi pressé de mener son pays au XXIe siècle au moyen de la centralisation de tous les pouvoirs.

    Autant dire qu'exercer une influence, ou tout simplement exprimer une présence à Abou Dhabi, revient à provoquer un écho direct en Arabie, pays qui règne sur les deux principaux lieux saints de tout l'islam. Or, à l'inverse du royaume wahhabite, le petit et richissime émirat tolère la construction d'églises (on y compte neuf édifices religieux catholiques sur 76 édifices chrétiens au total), laisse les catholiques libres de leur pratique pourvu qu'elle reste confinée à leurs lieux de culte (environ un million de fidèles, principalement des immigrés philippins ou indiens) et se montre bien plus dur envers les Frères musulmans qu'envers les Frères des écoles chrétiennes. 

    C'est donc a priori le pays idéal pour le "message de paix" que le souverain pontife est venu porter dans le golfe Persique, épicentre d'un triple conflit entre Arabes sunnites et Iraniens chiites, entre sunnites de la péninsule arabique et rebelles chiites du Yémen, entre tenants d'une société traditionnelle où la religion est aux mains des émirs et partisans d'un Islam transformé en doctrine politique (autrement nommé Islamisme). Fidèle à sa ligne, le pape se rend au coeur des conflits, il ne reste pas à distance, comme il l'a fait avec les migrants en Méditerranée, ou avec les Rohingya en Asie.

    À ce titre, pour dénoncer les crimes dont la population yéménite est massivement victime, mieux vaut s'adresser au principal allié de l'Arabie saoudite (les E.A.U.) que d'exprimer sa désapprobation aux autorités de Ryad, particulièrement fermées au dialogue sur ce sujet. François ne se fait certainement pas d'illusions, mais accomplit son ambition de faiseur de paix ("Fais de moi l'instrument de ta paix", selon la phrase de son modèle absolu, Saint François d'Assises).

    Une sorte de partenariat stratégique

    L'autre versant de son action est plus discret, mais pas moins important. Celui que ses plus farouches adversaires nomment méchamment le "pape islamisé" suit en effet une ligne très délicate - et controversée - qui l'a déjà conduit en Égypte, en Azerbaïdjan (surtout pour "équilibrer" le voyage qu'il avait effectué préalablement en Arménie), au Bangladesh (où il a soutenu la cause des réfugiés musulmans Rohingya, persécutés par les extrémistes bouddhistes) et en Turquie.

    Le pape veut être un diplomate au contact direct : il resitue le christianisme dans une action en faveur de l'humain, terrain que les grandes puissances occidentales ont abandonné depuis longtemps (les États-Unis apportent un soutien presque sans faille à l'Arabie saoudite dans son action militaire désastreuse au Yémen). 

    C'est pour assister à la "Conférence mondiale sur la fraternité humaine", organisée par le Conseil musulman des Sages que François s'est rendu aux Émirats. Et il l'a fait à l'invitation de celui avec lequel il a bâti depuis quelques années une sorte partenariat stratégique, à savoir le cheikh Ahmed Al Tayeb, recteur de l'université Al-Azhar du Caire ; ce sera la cinquième rencontre entre les deux hommes. Vu sous cet angle, le déplacement de l'évêque de Rome aux bordures de la zone la plus conflictuelle du monde prend les allures d'une mission audacieuse, qui soulève beaucoup d'objections au sein du monde catholique identitaire et qui, bien entendu, est conçue pour combler le fossé creusé par les islamistes. François a fait un pari, celui de franchir les barrières par le dialogue et la poignée de main : il est peut-être un des derniers vrais diplomates du monde actuel.

    Source : lexpress.fr

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