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    Internationale

    Tout comprendre aux publicités politiques sur les réseaux sociaux

    07 nov. 2019 23:00

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    Interdira, interdira pas ? L’annonce de Twitter, dont le PDG Jack Dorsey a déclaré à la fin octobre que les publicités politiques seraient interdites sur son réseau social à partir du 22 novembre, a pris Facebook, YouTube et d’autres réseaux sociaux, comme Snapchat, par surprise.

    Alors que le débat est particulièrement vif, notamment aux Etats-Unis, sur ce que ces réseaux devraient ou non pouvoir autoriser comme publicités, voici un tour d’horizon des principales questions que posent actuellement ces outils électoraux.

    C’est quoi, une publicité politique ?

    Cela peut sembler évident, mais le sujet n’est pas si simple. Depuis l’avènement des réseaux sociaux dans la plupart des démocraties, il y existe bien de la « propagande électorale » identifiée en tant que telle dans le cadre d’une élection.

    Spots de campagne, appels à voter pour un candidat ou un parti, recrutement de militants ou de soutiens, inscriptions à des newsletters…, les équipes de campagnes des candidats, qui gèrent des comptes au nom de la personne concernée, ou d’un parti affilié, peuvent choisir de payer la diffusion de messages sur Facebook, Twitter, ou autres réseaux sociaux, pour qu’ils apparaissent à certaines catégories d’utilisateurs de ces réseaux (même si ces derniers ne sont pas abonnés ou n’ont pas « aimé » le candidat ou parti en question).

    Du côté des plates-formes, ces « posts sponsorisés » assurent, globalement, une immense partie de leurs revenus publicitaires : les marques les utilisent en permanence pour faire de la promotion de produits à des nouveaux acheteurs. Du côté des politiques, ces messages publicitaires sont devenus des outils classiques d’affichage numérique à des fins électorales pour des partis et candidats déclarés, dans de nombreux pays du monde. Que ce soit pour tenter de convaincre ou pour diffuser des messages destinés à motiver des partisans déjà acquis à une personnalité politique.

    A côté de cela, de très nombreux contenus publiés sur les réseaux sociaux sont, eux aussi, politiques, mais pas forcément reliés à une campagne électorale. Par exemple : une personnalité politique, ou un collectif de soutien, qui sponsorise une tribune qu’elle a signée, sur Internet ou dans un quotidien. Cela promeut ainsi ses idées politiques, mais n’appelle pas directement à voter pour elle.

    Dans ce contexte, la ligne entre « promotion politique » et « information citoyenne » est parfois floue, surtout lorsque les messages émanent des équipes politiques au pouvoir. Par exemple, en France, le gouvernement a diffusé des campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux (notamment Snapchat) pour la promotion du service national universel (SNU) : selon les points de vue, ces publicités, payées par l’Etat, pouvaient être considérées comme une information des citoyens, ou comme la promotion d’une mesure phare du gouvernement.

    Les partis, candidats et équipes gouvernantes sont par ailleurs loin d’être les seuls clients de tels messages. Dans son interface, Facebook distingue ainsi les publicités « électorales et politiques » de celles qui sont dites « sociales » (issue ads, en anglais). Elles sont utilisées par des associations et ONG, qui sont de grandes utilisatrices des publicités sur les réseaux sociaux. Leurs messages sponsorisés traitent de sujet à résonance parfois hautement politique : par exemple les publicités de Greenpeace France sur Facebook concernent la désobéissance civile, les dangers de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme), la lutte contre l’extraction minière en eaux profondes…

    Aux Etats-Unis, dans un autre registre, celles de la National Riffle Association (NRA), principale organisation pro-armes) appellent parfois, sur Facebook, à ne pas écouter les « messages toxiques » de celles et ceux qui peuvent exprimer des opinions contre les armes à feu. Un sujet devenu un débat politique américain majeur au cours de ces dernières années.

    En annonçant supprimer les publicités politiques à partir du 22 novembre, Twitter n’a pas indiqué si de tels messages, émanant d’associations ou d’organisations évoquant des sujets politiques, seraient concernés par cette interdiction.

    Est-ce que cela fonctionne vraiment ?

    Oui, mais pas toujours, et pas forcément de la manière dont on l’imagine. Des études sociologiques d’ampleur, principalement menées aux Etats-Unis, montrent clairement que les publicités politiques ont une influence sur le vote, mais que cet impact, difficile à quantifier, est plutôt faible. Ce type de publicités est très peu efficace pour faire changer d’avis quelqu’un qui a déjà fait un choix ou qui se sent particulièrement en accord avec les idées d’un candidat ou d’une candidate.

    En revanche, les publicités ont un impact plus tangible lorsqu’il s’agit de convaincre les indécis, ou pour influer sur le taux de participation. En 2016 aux Etats-Unis, des publicités ciblées payées par la Russie ont spécifiquement visé des électeurs traditionnellement démocrates, et notamment des habitants noirs de quartiers pauvres, pour tenter de les convaincre que voter était inutile… et ainsi favoriser le score de Donald Trump.

    Pourquoi Facebook est très critiqué sur le sujet ?

    D’abord parce que c’est le réseau social le plus utilisé en Occident, et que les publicités politiques ciblées sur Facebook ont fait partie de l’arsenal d’outils utilisé par les opérations d’influence russes aux Etats-Unis lors de la présidentielle de 2016.

    Depuis, Facebook a pris de nombreuses mesures pour mieux identifier et afficher de manière plus transparente les diffuseurs de publicités politiques. Mais le débat a pris une tournure particulière durant ces derniers mois, en vue des élections américaines de 2020. Les annonces de Twitter de suppression des publicités politiques ont eu lieu dans ce contexte, et l’une des raisons pour laquelle elles ont été commentées ensuite est qu’elles prennent un contrepied direct aux lignes défendues par Facebook.

    Mark Zuckeberg, le fondateur et PDG du réseau social, a réaffirmé récemment dans un discours sur la liberté d’expression qu’il ne souhaitait pas appliquer des règles de modération qui vérifieraient la véracité des messages diffusés dans les publicités politiques postées par des candidats ou organisations.

    Pour M. Zuckerberg, ce n’est pas à une entreprise privée de déterminer ce que les candidats et candidates ont le droit de dire. Pour ses détracteurs, parmi lesquels compte la candidate démocrate Elizabeth Warren, mais aussi plusieurs élus américains, qui se sont exprimés à ce sujet au Congrès le 23 octobre, cette ligne est un blanc-seing donné aux politiques pour mentir, et une pratique qui favorise en premier lieu Donald Trump, coutumier des affirmations mensongères. Elisabeth Warren est allée jusqu’à diffuser sciemment des publicités mensongères afin de mettre Facebook face à ses responsabilités sur le sujet. En interne, près de 250 employés de Facebook ont ensuite approuvé un texte, regrettant la ligne défendue par leur patron.

    Le sujet continue de faire réagir. Dans une tribune publiée le 4 novembre par le Washington Post, Yaël Eisenstat, qui a travaillé un temps pour Facebook dans l’équipe chargée de l’intégrité et de la sécurité des élections, estime que « Facebook gagne de l’argent en partie en amplifiant les mensonges et en commercialisant des outils de ciblage dangereux, qui permettent à des groupes politiques de se lancer dans une guerre informationnelle d’un niveau encore inconnu ». Elle explique avoir alerté en interne sur les problèmes posés par les publicités politiques mensongères, sans parvenir à convaincre sa hiérarchie de les soumettre au même processus, certes imparfait, de vérification qui existe pour les messages non publicitaires.

    « Pendant que les équipes de Facebook tentent de limiter d’autres formes de désinformation, les publicités permettent à n’importe qui de profiter de toute la puissance de ciblage de Facebook et de sa gigantesque collecte d’informations personnelles », renchérit Tim Wu, juriste militant qui appelle à un démantèlement de Google et Facebook, dans le New York Times.

    Pour autant, certains des plus vifs critiques de Facebook estiment qu’interdire les publicités politiques sur le réseau serait contre-productif, en donnant un avantage non négligeable aux candidats sortants, notamment dans les pays peu démocratiques. Un argument également évoqué par M. Zuckerberg à plusieurs reprises. Le patron de Facebook, qui a rencontré cette semaine des dirigeants d’associations citoyennes, a par ailleurs laissé entendre qu’il pourrait limiter les capacités des candidats à cibler de manière très précise certains groupes d’électeurs – une évolution qui pourrait grandement bloquer les tentatives de démobilisation d’électeurs.

    Que disent les autres réseaux sociaux ?

    YouTube, également concerné par l’utilisation de publicités politiques trompeuses en 2016 et ensuite, a pour l’instant observé un silence prudent sur ce dossier. Comme Facebook, Google a mis en place un « observatoire » permettant d’afficher les publicités politiques diffusées sur sa plate-forme, mais, contrairement à celui de Facebook, l’outil de Google est limité aux publicités strictement électorales, ce qui le rend beaucoup moins précis.

    TikTok, la plate-forme chinoise plébiscitée par les adolescents, a annoncé, au début d’octobre, qu’elle n’accepterait plus aucune publicité politique. Quant à Snapchat, la société continue pour l’instant d’accepter les publicités politiques, mais les recense de manière très détaillée dans un outil austère mais complet.

    Qu’en est-il en France ?

    Par rapport à la quasi-totalité des autres pays, la question se pose avec moins d’acuité en France, où une législation très protectrice interdit déjà les publicités politiques sur les réseaux sociaux durant les campagnes électorales.

    En revanche, rien n’interdit les publicités « sociales », pendant et en dehors des campagnes, ce qui peut permettre à des associations ou particuliers d’utiliser ces outils pour promouvoir des causes. La manière dont les réseaux sociaux encadrent ces publicités varie d’un réseau à l’autre ; le groupe d’extrême droite Génération identitaire a ainsi pu diffuser cette semaine des publicités appelant à une manifestation « contre l’islamisme » sur Twitter.

    Le premier « grand test » sur l’utilisation des publicités politiques devrait avoir lieu au Royaume-Uni au cours des prochaines semaines, en amont des élections législatives prévues le 12 décembre. En 2016, la campagne du référendum sur le Brexit avait été émaillée de nombreux incidents liés à des publicités mensongères. Depuis, le Royaume-Uni est l’un des pays d’Europe où les dépenses en publicités politiques ciblées sont les plus élevées, le plus souvent avec une totale absence de transparence.

    (Source lemonde.fr)

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