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    Cinéma et Musique

    Il était une fois Tarantino

    23 mai 2019 23:00

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    Le cinéaste dévoilait mardi «Once upon a time... in Hollywood» en compétition à Cannes. Avec de superbes Brad Pitt et Leonardo DiCaprio, il y tient son chant d'amour pour un Hollywood perdu, mais pas jusqu'au bout, ruinant le tout dans un dernier mouvement révulsant.

    Oh, qu’elle était attendue, cette première projection mondiale du nouveau film de Quentin Tarantino, Once upon a time… in Hollywood, dont on savait qu’il était inspiré par l’affaire Manson et le meurtre de Sharon Tate et comptait au casting Leonardo DiCaprio, Brad Pitt et Margot Robbie. Depuis deux jours la ferveur montait encore, en raison d’un communiqué émanant de la team Tarantino priant les journalistes de ne pas «spoiler» le film. A la projection de presse en salle Debussy, avant le lancement, demande fut à nouveau faite, en anglais et en français, de n’en rien révéler qui puisse gâcher la «fraîcheur» avec laquelle d’autres spectateurs se devaient de découvrir l’opus.

    L’ironie, c’est évidemment qu’une telle insistance, pourvu qu’elle se doublait d’une vague connaissance de la filmo du bonhomme (Inglourious Basterds ou Django, disons) éventait tout à fait le projet. Non, il ne va quand même pas…, s’est-on dit aussitôt après l’apparition de Roman Polanski et Sharon Tate à l’écran. Et si, il l’a fait. Qu’on ait pu trouver dégueulasse (c’est notre cas) ou jubilatoire le procédé de revisiter l’histoire par le biais du cinéma dans ses deux précédentes tentatives, cette nouvelle version vient préciser l’intuition que cette impulsion ne procède pas tant d’une croyance en les pouvoirs du cinéma que d’une forme de lâcheté adolescente, celle de n’avoir pas voulu se frotter à la tragédie, la regarder en face, sans doute moins par peur du mauvais goût que tout simplement du réel. C’est d’autant plus dommage que dans toute sa première partie, le film fait mine de la toucher du doigt, notamment dans de magnifiques scènes dévolues au personnage de Tate (jouée par Margot Robbie), dont on se dit en les voyant que ce gros ours ému de Tarantino aurait voulu sauver la poupée blonde. Ce qui pourrait circuler entre Polanski et le cinéaste, admiration et empathie, est également dessiné, avant de s’abîmer tout à fait dans la deuxième partie.

    Bravoure

    Ainsi, il y a deux films dans Once Upon a Time… Une première heure et demie qui est un chant d’amour à la ville telle qu’elle existait en 1969, c’est-à-dire tout juste avant son deuxième âge d’or, ce « Nouvel Hollywood » décrit par Peter Biskind dans un livre fameux, où pouvaient encore espérer se côtoyer stars de téloche sur le retour et metteurs en scène en vue, c’est-à-dire la télévision et le cinéma. Tout le film pourrait d’ailleurs être lu comme l’auscultation de leurs rapports.

    On y rencontre Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), jadis personnage récurrent d’une série à succès et depuis en perte de vitesse, et sa doublure cascadeur Cliff Booth (Brad Pitt), factotum qu’on pourrait trouver éminemment sympathique, tant il semble incarner une forme de droiture absente à tous les autres, s’il n’avait buté sa femme parce qu’elle le faisait trop chier, bordel. L’histoire de Dalton et de Booth est narrée, comme il se doit, grâce à moults flashbacks et longues digressions, dont un jouissif passage par le tournage d’un western télévisé où DiCaprio partage l’affiche avec une enfant star précoce et redoutable – «je n’ai jamais vu quelqu’un jouer aussi bien», lui dira-t-elle après un saisissant morceau de bravoure ; rires dans la salle. Le personnage de DiCaprio incarnant généralement des méchants sûrs de leur fait et de leur gâchette, le comédien est comme de bien entendu un loser pathétique à la ville, quasi-bégayant, qui se voit proposer de jouer dans des westerns spaghetti par un truculent agent (Al Pacino, rondelet et parfait derrière ses grosses lunettes). Tous les rouages de l’industrie sont passés au crible de manière alerte et très distrayante, sous-tendue par une réflexion plus fine sur ce qu’on pourrait appeler le karma des comédiens, la manière dont leurs rôles passés influencent nécessairement leur vie. Et c’est ainsi que se construit le meilleur personnage du film, celui de Dalton, dont le passé de doublure en fera aussi le double du cinéaste et l’incarnation de sa volonté.

    Carnaval

    A cette première trame s’ajoute celle qui n’est pas le cœur quantitatif du film, mais ce sur quoi repose néanmoins son propos, à savoir le meurtre de Sharon Tate par la bande de Charles Manson, dont les éléments sont mis en place patiemment, tels qu’ils s’envisageaient six mois avant la tuerie, et viendront croiser les chemins de Dalton et Booth. Tate, qui a emménagé avec Polanski à côté de chez Dalton, y est amoureusement regardée, notamment dans une longue et belle scène où elle découvre, dans les rues d’Hollywood, son nom à l’affiche de The Wrecking Crew (Matt Helm règle son compte) et entre dans le cinéma pour s’y regarder. Sa jubilation à se contempler, sa jeunesse, sa beauté, son statut de starlette fauchée aux premiers frémissements de la gloire en font la figure tragique toute destinée pour Quentin Tarantino. On y croise aussi brièvement Charles Manson, et lorsque le visage du comédien qui l’incarne, immédiatement reconnaissable, apparaît à l’écran, il n’est autre que le mal absolu, tel qu’il l’est de manière persistante depuis cinquante ans dans la pop culture américaine.

    Sans se risquer à «spoiler», donc, on dira que le plus près que Tarantino s’aventure de la bande à Manson, c’est Spahn Ranch, ce faux ranch de cinéma et vrai décor désormais hors d’usage que la secte avait investi, et dont on voit bien en quoi la double existence a pu fasciner le cinéaste. Il ne peut s’empêcher d’y mettre en scène un simili western, avec le cascadeur dans le rôle du justicier, et c’est l’un des meilleurs moments du film, la seule véritable confrontation entre le cinéaste, via son double, et les «fucking hippies» qui entouraient Manson. Elle laissait espérer qu’on y reviendrait, que Once upon a time… oserait prendre à bras-le-corps toute cette malheureuse histoire, en n’occultant rien de son sordide. Las ! Une rupture temporelle arbitraire (on saute six mois plus tard) vient scinder le film, et la rupture formelle (apparition de tics maniéristes chers au cinéaste, écran coupé en deux, tranches horaires signalées sur le côté de l’écran, bref totale guignolade) font de l’épilogue une sorte de carnaval réduisant à néant ce qui se jouait au départ. C’est d’autant plus navrant qu’on a le sentiment de se voir resservir une recette usée, celle d’un ado n’arrivant toujours pas à sortir de sa chambre aux merveilles pour tenter un truc plus grand que lui.

    Source : next.liberation.fr

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